France - La rénovation des périphéries revitalisera-t-elle nos cadres de vie ?

Pourrions-nous continuer à vivre dans nos villes telles qu'elles le sont ? Un décalage tend à se creuser entre le modèle de vie que proposent le désir de propriété des citoyens et la sobriété foncière. Collectivement, quels seront nos critères pour freiner l’imperméabilisation du foncier ? Au travers de la financiarisation de la production urbaine, on constate une hausse des professionnels de la rénovation et l’accumulation de dispositifs de financements incitant les ménages à la rénovation. Cela place le propriétaire particulier dans une difficulté, à s’approprier son habitat, et l’incite à adopter des stratégies de bricolage qui répondent partiellement à ses besoins individuels.

Comment convaincre les Français de rénover leur patrimoine au-delà de la dimension énergétique ? Comment mieux orienter les Français vers des travaux de rénovation responsables et soucieux de leur bassin de vie ?

 
Les aires d'attraction des villes selon le nombre d'habitants en 2017. | INSEE, Focus n°211, 21/10/2020

De nombreuses villes en France subissent des phénomènes de décroissance rapide : faillites commerciales, vacance immobilière, isolement social et exode démographique. Cette situation est la résultante de plusieurs facteurs concomitants qui bouleversent les jeux d’échelles territoriaux jusqu’alors établis. À l’échelle métropolitaine, la dite “métropolisation” en favorisant les grandes villes a conduit à une réorganisation des services de l’État qui a impacté le statut de ces communes. Bien avant la pandémie, ces villes tentaculaires nourrissent la tentation du tout, tout de suite, amènent les habitants à privilégier les déplacements en voiture et les décideurs à aménager la ville pour les seules automobiles. Les trottoirs n’existent plus, les carrefours deviennent anxiogènes pour les piétons. Mais désormais, le monde désire une vie de sens et d’humanité. Les villes moyennes et bourgs semblent revenir sur le devant de la scène.

Un désenchantement du modèle pavillonnaire qui se dessine - défauts énergétiques et sociaux

Les Français, en matière d’habitat, préfèrent la maison individuelle et parmi nous, 53% vivent dans un logement individuel, soit dans un lotissement, soit isolé (INSEE). En France, le pavillon désigne un logement privé individuel quatre-façades, de dimension modeste et souvent répété dans un lotissement homogène. Ses débuts sont apparus lors de la vague hygiéniste de l'Habitation à bon marché (HBM) et du système de l'accession à la propriété en France, troisième quart du XXe siècle par la loi Albin Chalandon. En 1966, Saint-Michel-sur-Orge choisit d’accueillir cette expérience à échelle un : 187 maisons d'habitation à loyer modéré regroupées sur un site de déambulation.

 

Construite en un temps record (110 jours), l'exposition Villagexpo connaîtra un vif succès. Des villages de pavillons-témoins se développeront au-delà de l’Île-de-France (Domexpo en région parisienne, Homexpo à Bordeaux...). “Coïncidence, je ne pense pas”, les majors de la promotion immobilière reconnus aujourd’hui sont les pionniers de la maison individuelle. Au travers de cette action, la politique du gouvernement a su revitaliser l’estime de soi d’une société entière en l’attirant vers l’accès à la propriété et lui offrant son ticket d’entrée dans la classe moyenne.

 

Culture du '“tout-voiture” et de la “descente en gamme” du logement individuel

L’essor de l’automobile est avant tout contraint, à long terme, par les externalités négatives qu’elle génère. Il n’est pas question ici de les détailler toutes. De l’avis de Frédéric Héran “après une phase de déni, les autorités finissent par reconnaitre son existence, sous la pression des populations affectées”. Dans l’évolution des périphéries, l’automobile est un sujet crucial et supersensible, car la découverte de ses impacts ne cesse de s’allonger.

Les externalités négatives se trouvent entre autres dans le temps passé dans ce mode de transports, l’aménagement des territoires, le prix du carburant et l’obsolescence des véhicules. Contester ces faits pour se préoccuper des plus vulnérables (piétons, cyclistes, autres) dans l’espoir d’une cohabitation des usagers de la route en agglomération, pour le moment donne à voir un conflit binaire entre deux visions politiques et des frustrations sans réponse immédiate accumulées par les citoyen-ne-s..

Sur 3 personnes tuées, 2 sont des usagers vulnérables.

Une qualité architecturale et le bon-vivre en baisse

Des expériences montrent que le cerveau humain a besoin de contact avec la nature, d’interaction sociale et d’une certaine complexité, afin de satisfaire sa curiosité naturelle. Les environnements trop répétitifs ou monotones, tels que les façades aveugles, sont source d’ennui et de stress chez les citadins. Comme l’expliquent Pablo Carreras et Kristelle Delanoë “Habiter en périphérie d’une grande ville aurait un impact négatif sur la santé mentale des ménages concernés, non seulement en raison de la durée des déplacements, mais aussi de la faible intensité des relations sociales.”

En 2021, la mission Logement avance que la “diminution de la qualité des constructions neuves aujourd’hui est liée aux effets induits des dispositifs de défiscalisation type Pinel, qui incitent à considérer le logement comme un simple produit financier. “Les opérations centrées sur l’investissement locatif recherchent une optimisation de la surface construite et génèrent une grande compacité des logements, quelle que soit leur localisation et souvent sans se préoccuper de l’intégration dans le tissu existant.

En moins de 60 ans, les hauteurs sous plafond ont diminué en moyenne de 27 cm.

32 % des appartements construit après 2009 ne sont pas traversants !

Des dispositifs nationaux de la rénovation énergétique en perpétuelle évolution

Le logement est le premier poste de dépense des ménages et contribue à la consommation de la moitié de l’énergie dont nous disposons. Rappelons qu’en France l’essentiel de la consommation d’énergie en chauffage se fait en logement privé 84%. Au sein du logement privé, 75% de cette consommation se fait en maison individuelle et 25% en logement collectif. 55% des maisons individuelles ont été réalisées avant la RT2012. La rénovation énergétique dans le logement privé devient une priorité si nous voulons nous mettre en action face à l’urgence climatique mondiale.

Des dispositifs fiscaux accompagnent les propriétaires à alléger le cout des rénovations à condition qu’elle soient réalisées par un professionnel certifié reconnu garant de l’environnement (RGE), à savoir :

  • Crédit d’Impôt pour la Transition Ecologique lien

  • PrimeRenov lien

  • L’éco-prêt à taux zéro, pour financer des travaux lien

  • Aide Habiter sain ou Habiter serein lien

  • Certificats d'économie d'énergie (CEE) "Standard" lien

  • Aides financières des collectivités locales (Région, Métropole, Commune)

Les fréquentes adaptations règlementaires engendrent des restes à charge dissuasifs pour le propriétaire qui n'a pas souvent beaucoup de marge de manœuvre financièrement. Également, selon certains architectes, ses résultats font défaut puisqu’il consiste à effectuer une succession de micro interventions court-termiste, et à mettre de côté une transformation de l’architecture qui pourrait garantir des économies à long terme.

 

Entre imaginaires et réalités des modes d’habiter - des représentations architecturales à l’écoute du bien vivre et du vivre ensemble

Le lien entre les modèles d’émancipation de soi, l’accès à la propriété et l’imaginaire du bien qui “me ressemble” semble étroit. Toutefois, collectivement, une grande partie des Français a pris conscience du boulon d’étranglement (isolement territorial, reste à vivre, bénéfice psychique du modèle de la ville zonée) dans lequel ils étaient victimes et bien impuissants.

En 2020, le gouvernement et l'agence Nationale de la cohésion des territoires publient un zonage rural explicite. Il est temps d'abandonner des décennies de “définition en creux”. Quatre programmes nationaux à destination des typologies rurales : les villes moyennes, les montagnes, les territoires industriels et des petites villes. Le rééquilibrage territorial avec les acteurs s'opère et l'on peut espérer en voir les résultats dans quelques années.

Le zonage rural dans l'œil du gouvernement le 14/11/2020. | Insee / ANCT

Nouveaux critères des propriétaires : nouveaux modes de vie, + d’espace, écosystème digital

De nombreux spécialistes : sociologues, économistes, architectes, urbanistes, s’accordent à dire que l’habitat concrétise l’évolution des mœurs. L’expérience du confinement a eu l’effet d’être un accélérateur de tendances. Les envies d’espace, de nature, de qualité de vie, même si elles restent dans le domaine du rêve, ont été au cœur des recherches immobilières. Le désir d’un logement plus “confortable”, quitte à s’éloigner d’une métropole avec de nouveaux critères, est assumé. Les nouveaux modes de consommation (participatifs, collaboratifs, connectés, durables), les nouveaux codes du vivre ensemble (intergénérationnels, partagés), l’évolution de la composition de la cellule familiale (monoparentale, recomposée), sont autant de changements dans la société qui redéfinisse l’habitat.

Bast architectes rénovation d'une maison de campagne, à Le Cornal (47)

Le phénomène des influenceurs-métiers prend dans l’ampleur à tel point que le storytelling authentique de sa propre existence déstabilisent les monopoles règlementés en place, à la façon d’un codéveloppement au sein d’une communauté de confiance. Du Do It Yourself à la série-documentaire, les exemples français trouvent leur public. Dans le domaine de la rénovation, l’exemple de Rachel et Emilien, propriétaires et communiquant de formation, font figures d’exemples dans l’autoconstruction et de médiateur de la conduite de chantier. Du métier d’influenceur à conseiller en rénovation lourde, il n’y a preque qu’un pas.

Géopolitiques de l’habitat

Le mal-logement en France semble être assimilé à des facteurs d’ordre structurels partagés entre les industries privées du BTP, les biais de consommation, une complexité des découpages territoriaux.

La tension entre dispositions nationales et opérationnalité territoriales est croissante. Pour autant, les intercommunalités sont aujourd’hui des actrices reconnues des politiques de l’habitat et d’un raccrochage nécessaire aux besoins des populations.

Selon Claire Delpech, à la lecture de ces expériences, le foisonnement et la diversité des expérimentations et dispositifs locaux sont manifestes. Elles témoignent de la capacité des acteurs locaux à apporter des solutions originales et à intégrer dans leur politique locale les orientations nationales tout en les adaptant aux réalités locales. Elles mettent en évidence le dynamisme des collectivités du bloc local et leur engagement sur les questions d’habitat.

  • Métropole de Lille : permis de louer et permis de diviser

  • Lorient Agglomération : aide à l’accession « Prim’Access »

  • CA Pays Voironnais : dispositif de location active

  • Communauté du Creusot Monceau : démarche Bimby

  • Clermont Auvergne Métropole : plateforme mutualisée de captation de logements privés à des fins sociales

Conduire et partager l’évaluation des politiques publiques nationales

Comme l’explique le Conseil de l’État, “dans un contexte de défiance entre citoyens et responsables publics, l’évaluation des politiques publiques peut jouer un rôle central, en apportant à notre démocratie des analyses fiables et factuelles pour éclairer le débat public et la décision. Dans son étude annuelle de 2020, l’action publique reste encore trop éloignée du monde de la recherche ( = expérimentation en architecture ?) et souffre parfois de faiblesses organisationnelles. Surtout, elle n’est pas assez partagée avec les citoyens et utilisée par les décideurs.”

La loi Climat et Résilience affiche l’ultime objectif “ Zéro Artificialisation Nette” en 2050 toute imperméabilisation du sol devra avoir cessé ou être compensée par au moins autant de "renaturation" ou "désartificialisation". L'artificialisation des sols, c’est la destruction d’un milieu naturel, agricole ou forestier. En France : D’après « Teruti-Lucas », 60 000 hectares auraient été artificialisés chaque année sur la période 1982-2021, avec une croissance de 72 %, quand la population n’augmentait que de 20 %. En conséquence, ce sol n'absorbe plus de CO² et contribue plus à la régulation de la température du globe terrestre et ainsi qu’aux risques d'inondations.

Paradoxalement, les études du Haut Conseil pour le climat pointent un marché de la rénovation performante quasi-inexistant avec un taux de rénovation globale extrêmement bas : seules 0,2% des rénovations (résidentiel et tertiaire) seraient des rénovations globales satisfaisant aux critères BBC sur la période 2012-2016.

Si l'objectif est national, il en revient aux maires d'être à la barre. Et ceux-ci sont seuls face à la maitrise de leur bilan communal : maîtriser l’équilibre urbain, assurer la satisfaction des résidents, stimuler l’embauche et les équipements publics, accompagner le vieillissement de sa population.

Résorber les 3 000 000 logements non occupés en France

La vacance immobilière de longue durée concerne les logements ne portant aucune affectation par leurs propriétaires depuis plus de trois ans. Ce phénomène est particulièrement marqué dans certaines zones rurales, et plus largement dans les secteurs de tension immobilière faible à modérée. Il est lié à l’inadaptation de l’offre de logements aux besoins (taille des logements, confort thermique, manque d’espaces extérieurs de qualité), à sa dégradation parfois importante ne permettant plus leur remobilisation rapide et, enfin, au choix de vie de nombreux ménages à la recherche d’une maison individuelle avec jardin au détriment de maisons de bourg ou appartements. On recense 5 catégories de leviers pour résorber la VILD : captatifs (INSEE, BisCom), incitatifs (PIG OPAH ANAH), fiscaux (taxes, RHI), intégrés (ORT).

Le premier Bail Réel Solidaire de Bizitegia, l'Organisme Foncier Solidaire de l'EPFL Pays Basque.

La récente création du bail réel solidaire (BRS, 2016) a permis de favoriser l’accession à la propriété des ménages aux revenus modestes. Il permet de dissocier le cout d’une construction et du sol. Cette formule est proposée par les COOP’HLM pour vous permettre de trouver votre logement, là où vous pensiez que vous ne pouviez pas devenir propriétaire. Espacité observe que les écarts de prix de vente avec un logement sur le marché libre peuvent aller jusqu’à - 60% pour les zones les plus tendues jusqu’à - 15% dans des secteurs moins tendus.

Conclusion

Au bout du compte, la réalité de la périphérie urbaine couvre un grand nombre de possibilités en matière de méthodologies, de solidarités et de programmation. Nos cadres de vie connaitront ainsi des vagues de remises en question grâce à la somme d’actions responsables des propriétaires, des autorités publiques et des acteurs locaux. Si notre capacité d’agir dépend de la prise de conscience collective et des représentations de nous-même et de nos territoires, les expérimentations montre qu'il est possible de rénover le cadre de vie : en recourant aux expertises règlementées, aux tiers de confiance, aux dispositifs énergétiques et financiers ou en s’engageant dans des délégations démocratiques où les pensées s'imbriquent. Aussi, l’influence culturelle à l’ère des réseaux sociaux joue un rôle fracassant qui remet le narratif du soi dans les mains de celui qui souhaite mener sa propre vie tout en étant en lien avec des personnes qui lui ressemblent.


Écrire cet article m'aura permis de comprendre différents points de vue qui définissent la rénovation, du bâtiment au territoire, parfois, normatifs, populaires, ou totalement hors champ et expérimentaux. Cet article est à considérer comme un workinprogress tant les initiatives qui transforment les territoires sont en constante ébullition.


Pour aller plus loin :

Transition 2050 par l’ADEME

Mediacites “Ils interdisent la maison individuelle”

Interviews et témoignages de particuliers ayant entrepris des travaux de rénovation, ADEME


Sources

Jacqueline Gourault, Projet de loi « Décentralisation, différentiation et déconcentration », juillet 2020

Jean-René Cazeneuve, président de la Délégation aux collectivités, Charles de Courson, Christophe Jerretie et Arnaud Viala, rapporteurs, Expérimentation et différenciation territoriale, Autonomie financière des collectivités territoriales

Marie Chabrol et Julien Langé, ra recherche-action, 6 stratégies conjuguant la ville et santé

Projet de loi « Décentralisation, différentiation, déconcentration et décomplexification, loi dite 4 D »

Pacte vert pour l’Europe

Next Generation EU

Rapport Sichel, mars 2021

Julien Damon “Les Français et l’habitat individuel : préférences révélées et déclarées” https://journals.openedition.org/sociologies/5886),

The spatial economy (Fujita et al. [1999])

Butler, Tim, and Garry Robson. “Social Capital, Gentrification and Neighbourhood Change in London: A Comparison of Three South London Neighbourhoods.” Urban Studies, vol. 38, no. 12, Temporary Publisher, 2001, pp. 2145–62, http://www.jstor.org/stable/43198191.

Economy of agglomeration (Fujita et Thisse [2001]).

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