Metaworlds - Ces espaces 3D collaboratifs qui percent la frontière entre la vraie vie et le jeu.
Imaginons une époque où nous passerons autant de temps, voire plus, dans les univers virtuels. En décembre 2021, Mark Zuckerberg a lancé Horizon Worlds convaincu que le métavers allait révolutionner nos vies. Cela pose une série de questions aux architectes (FR) « garants de l’intérêt général ».
La génération de jeunes créatifs trentenaires biberonnée à la culture internet, au progrès technologique, aux expériences de jeux-vidéos désirables, prendra-t-elle le temps de la réflexion pour se demander comment injecter du sens et sa créativité dans le respect des traditions constructives ?
Quelle éthique et quelles valeurs seront transférées de la façon dont nous fabriquons l'architecture physique à la façon dont nous fabriquons ce monde virtuel ?
Pour cet article, je pars des initiatives créatives dans le jeu-vidéo et de courants de pensées de praticiens architectes recensables sur internet. En seulement 30 ans, les inventions américaines (Microsoft) et japonaises (Nintendo) ont marqué mondialement l’histoire du jeu-vidéo, nos outils d’interactions humaines puis plus largement la représentation de la planification urbaine. La toute première photo stéréoscopique a fait ses débuts il y a 150 ans seulement, grâce au travail de Charles Wheatsone, photographe britannique.
De la photographie, au cinéma, la vision en 3D sont devenus progressivement les interfaces privilégiées des créatifs et du grand public pour profiter au mieux de leurs usages.
Les progrès technologiques ont considérablement accéléré les conceptions et nos façons dont nous évaluons, construisons et occupons les bâtiments. Mais ce qui me réjouie ces 20 dernières années, c’est de voir converger les technologies de visualisation 3D avec le processus de conception. Après avoir appris et travaillé sur le CIM en urbanisme opérationnel, avec un grand nombre d’experts du BIM (Autodesk, AMO BIM, BIM Manager), j’ai décidé de m’intéresser à ce qui se joue pour nos sociétés et la maturité de ces technologies.
En tant que jeune professionnelle assermentée, j’observe là un carrefour important pour notre société. Faudrait-il soit nager à contre-courant de la technologie et risquer de nous noyer, soit trouver un moyen d'influencer positivement le résultat. Comme le vieil adage : "si vous ne pouvez pas les battre, rejoignez-les". Sachant que certains confrères/consœurs assistent les promoteurs immobiliers pour satisfaire les besoins de la financiarisation de l’immobilier et de manière socialement conscients et certaines associations donnent naissance à des architectures remarquables, ici, j’y vois une opportunité pour les architectes - les plus jeunes - de s'associer à des développeurs Web, les créateurs du métavers. D’autant plus que la régulation juridique et la propriété intellectuelle - éternelles retardataires - mettront des décennies à réguler ces nouveaux “freeworlds”, c’est la raison pour laquelle, la génération de jeunes architectes, à laquelle j’appartiens, pourrait faire le lien entre les époques et s’aventurer dans la brèche , collectivement hors des terrains professionnels conventionnels !
La prophétie autoréalisatrice “faire converger les réalités virtuelle, augmentée et mixte” en une
L’essor de la “simulation and gaming”, l'accès du design urbain ouvert au grand public
Au cours des années 1960, Richard Duke développe le gaming/simulation pourl l’aide à la décision. Métropolis (Duke, 1964) permit aux joueurs de tester des changements en matière d’aménagement de la ville sur plusieurs années, en incarnant le rôle de planificateur, de politicien, d’industriel, de promoteur ou d’agent de contrôle de la pollution (dans une revue de littérature, Degnan (1972) décrit la conception et l'usage de Metro-Apex).
Will Wright, ça vous dit quelque chose ? Il est le créateur de SimCity qui a rendu désirable auprès du grand public l'urbanisme par le jeu. Dans le rôle du « maire », vous vous occupez de la gestion d’une ville et générez du cash. Ce paradigme de la façon dont le design urbain - même si ségrégé - se produit a atteint le grand public, y compris moi avant de devenir architecte. Au-delà des usages de divertissement, la simulation gaming est aujourd’hui un moyen puissant de communication et d’interaction
L’empire des sens
Les responsabilités des acteurs privés du jeu et l’aménagement, devrait s’associer avec les législateurs pour poser les bases d’environnements « neutres » au niveau de la captation de données psychiques et physiologiques. Selon la CNIL, les interfaces et la manière dont nous habiterons les métavers seront elles-mêmes de nouveaux moyens de collecter des données, toujours plus sensibles. Lancé dès 2013, le projet Fun II (Ubisoft - Université Laval au Québec) cherchait à « mieux comprendre les émotions des joueurs afin de créer des jeux mieux adaptés ». Les travaux menés auprès de volontaires visaient à « extraire une signature physiologique du plaisir », à partir de données du rythme cardiaque, du regard, de l’expression faciale, ou même sur l’analyse des mouvements.
Quel héritage patrimonial allons-nous transmettre dans le métavers ?
Que ce soit au travers de l’art ou d’expérience in situ, les créatifs se bousculent pour répondre à cette question. C’est ce qu’a cherché le bureau Space Popular, porté par Lara Lesmes et Fredrik Hellberg qui a livré un portail inscrit dans la porte du palais historique de Séoul. Ils lancent le débat sur ce que nous souhaitons nous engager dans ces interfaces numériques modernes virtuelles.
Le retour d’expérience, que je vous recommande, d’André Moneta, en tant qu'architecte et scénographe, dont les recherches académiques et son propre vécu, interrogent l'espace virtuel collectif de Second Life.
La digitalisation des processus de conception loin d’être désirée
Un outil de plus pour les entreprises de la construction
L'une des percées technologiques les plus notables dans le champ des réformes est le BIM (Building Information Modeling). L'avènement du BIM a provoqué cependant une timide vague dans la façon dont nous créons l'architecture, puisque depuis la réforme, la compétence BIM n’est requis que dans 8,10 % des concours publics.
Quatre insuffisances structurelles interdépendantes se présentent selon moi, celle des commanditaires publics qui sont encore en phase d'apprentissage avec un certain lot d'approximations managériales : “Force est de constater que les maîtres d'ouvrage ne se sont pas encore emparés de cette possibilité, CNOA, 2018. La transition des agences à s’approprier chaque évolution qui viennent ébranler leurs routines conceptuelles. L’application contractuelle où des MOE en viennent à renégocier à postériori du concours le rendu des maquettes numériques en tranche optionnelle par manque de compétences en interne : "Cela suppose des agences une réflexion structurelle sur les modalités de participation aux concours et un arbitrage entre deux options : intégrer la compétence en interne (…) ou nouer un partenariat fort avec des intervenants extérieurs afin de co- ou sous-traiter". Conduire le changement, BIM ou pas, c’est laborieux (et mal payé ?) !
Également selon Thibault Bertrand et Antoine Pecclet (Highline Paris), la transition signifie rareté de profils recrutables, pour les agences cela représente “un coût financier certain, l'investissement dans des équipements coûteux, la formation des collaborateurs et la prise en compte de la baisse de productivité potentiellement de CA”. Quel chef d’entreprise souhaite cela ? Même si le BIM a été transformateur il n’a pas su s’ancrer dans le marché de l’architecture. À l’aube d’une énième vague de transformation, l'expérience de la réalité mixte, je reste optimiste concernant les architectes autodidactes, qui sauront structurer leur méthodologie et qui se saisiront tout de même de marchés ultra nichés (data - BIM).
La “donnée en temps-réel” déterminante pour co-construire avec les communautés d’usagers / investisseurs / élus politiques
Élargir le nombre de personnes à la table du projet
Cela peut sembler être une menace existentielle pour certains architectes, mais José Sanchez de Plethora Project considère ce domaine comme une opportunité de se demander qui peut et doit participer au processus de conception. "Il y a le pouvoir dans une foule d'explorer un espace de conceptions possibles bien plus rapidement et avec moins de préjugés qu'un seul designer", dit-il. "Les plates-formes capables d'élargir le nombre de personnes assises à la table apporteront peut-être un sens plus inclusif et plus large de ce qu'est réellement le design dans cet environnement." Penser la pratique de la simulation participative comme espace de débat amène à positionner cette pratique dans un autre registre que celui de l’usage des jeux, dont l’intention est souvent de distraire. Selon Nicolas Becu le design d’une simulation participative peut inclure des messages mais leur mise en débat sera de mise, de même que le mensonge, la méfiance ou la confiance, les alliances et les compromis, car ils sont inhérents à l’action collective (Rouchier 2018).
Le bénéfice “confiance” des règlements d’urbanisme immersifs testés en temps réel
Selon le média Lumière de la Ville, “le métavers pourrait donc constituer un terrain de jeu incroyable pour les architectes, libérés des contraintes réglementaires et conceptuelles. Ne pourrait-on pas imaginer une mise au service de ces nouvelles technologies au service de tous les habitants ? Les praticiens pourraient par exemple concevoir des bâtiments d’habitation virtuellement, puis y inviter des futurs résidents ou acquéreurs à visiter cette première ébauche et ainsi mieux comprendre leurs usages et leurs envies, pour proposer des logements totalement sur-mesure, un sujet d’autant plus important depuis les confinements de 2020. Verrons nous naitre une économie de niche de la médiation par la réalité virtuelle se créé ?
La juriste et designer Margaret Hagan, (Stanford, USA) fait ce lien sur la nécessaire convergence entre le juridique et le design. Dans une interview au TTC labs de Facebook39, elle précise que si la loi nait d’une expérience humaine, elle n’est pas toujours pensée en termes d’expérience, avec une attention portée à la manière dont les personnes pensent, ce qu’elles ressentent et comprennent. Selon elle, les individus souhaitent rester stratèges, comprendre les options qui leur sont présentées, et protéger leurs droits, mais trop souvent selon elle, « le système juridique produit l’effet inverse, les personnes ne sont pas en confiance et peuvent avoir la sensation de n’avoir aucun pouvoir ». C’est là où le travail du designer doit intervenir pour produire, avec le régulateur, les méthodologies qui permettront d’assurer cette plus grande confiance des utilisateurs.
De cette façon, j’imagine des jumeaux numériques de quartiers être reconstitués et en accès libre où il serait alors possible pour les associations d’habitants d’imaginer “des PLU variantés en temps réel dans un espace virtuel” et responsable au sens “non anonymisé”. Nouvelles expériences, nouvelles méthodes de conception, nouvelles rencontres : les potentialités du métavers paraissent optimistes.” (LDLV)
Pour conclure, je souhaite mettre en avant l'inspirante mise en débat de Nicolas Becu (LIENSs - Collectif de chercheur ComMod) qu'il a énoncé dans sa thèse :
L’avenir nous dira si ces interfaces serviront ou aliéneront nos sociétés !
Pour aller plus loin :
LINC CNIL, Métavers : réalités virtuelles ou collectes augmentées
Bati Actu, Le BIM de plus en plus réclamé en commande publique
Microsoft, Qu’est-ce que la réalité mixte ?
1 001 rues, réalisations de BIM citoyen