Irlande du Nord - La frontière de la discorde.
Le concept de frontière nourrit l’interprétation collective entre les civilisations. L’équilibre des frontières tient dans le temps de la coopération “de paix” entre deux États. A l'intérieur de son aire urbaine, la capitale Belfast s'illustre par des frontières physiques dures de paix, les “Peaces Walls” séparent mais garantissent la paix entre les communautés irlandaises et britanniques. Le terme de frontière dure fait référence à toute infrastructure physique, des caméras distantes aux postes de garde, qui pourrait être mise en place le long de la frontière pour surveiller et traiter les mouvements de personnes et des biens. Intéressons nous quelques instants tandis que le reste de l’Europe observe de loin cette guerre centenaire.
Comment aborder les Peace walls de Belfast sous le prisme de l’urbanisme ? Face au constat, ces lignes incarnent à la fois le destin commun d’un espace, d’un peuple et d’un état : quelles représentations de ces “cicatrices mentales et physiques” se retrouvent dans cet paysage urbanisé fragmenté ?
Est-ce que les irlandais envisageront une cohabitation mixte durable sans frontières de voisinage ? Pourquoi les britanniques refusent-t-il de quitter des lieux à la demande des irlandais ? Dans une volonté d’ouvrir une fenêtre sur le thème de la frontière, mon passage dans la ville de Belfast fut l’occasion de découvrir cette ville et ses taximans. Mon article repose sur une photographie contextuelle des murs frontières de Belfast toutefois succinct au regard du temps court passé sur place. En un article, la démarche suggère de retourner le regard que l’on porte sur les espaces dévitalisés connexes aux “PeaceWalls” afin de formuler des prescriptions optimistes qui transformeront la tension en solidarité des communautés.
Plantations Irlandaises
“Dans la première moitié du XVIe siècle, la couronne britannique appliquera une politique agricole “punitive” qui ébranlera les propriétaires irlandais de terres”. Ces derniers se feront detrousser leurs biens, les colons déplaceront les habitants irlandais puis les remplaceront par des communautés britanniques. L'apogée des Plantations en Irlande fut atteinte dans les années 1630, sous Charles Ier. Expropriés, des milliers d'Irlandais ont dû migrer, comme engagés volontaires, sur les petites îles antillaises de la Barbade et Montserrat.
Durant 100 ans dès lors, la situation nord-irlandaise oscille entre processus de paix et désaccords violents autour de la religion, du rejet du colonisateur et du déracinement. Aujourd’hui, la limite entre le Royaume Uni et l’Irlande du Nord s’infuse autant dans le sol que dans les chairs. A l’échelle géographique, une méridionale de Newry à Londonderry/Derry fait office de frontière administrative. Le Brexit réveillera les discussions sur son statut. A l’échelle du voisinage, dans l’enceinte même de Belfast, les Peacelines stabilisent la paix entre “britanniques” et “irlandais”. Ainsi, vous ne verrez pas de portiques entre les deux Irlandes. En revanche, la tension dans les cités ouvrières de Belfast existe bel et bien au pied d’un Peace Walls.
Une frontière terrestre de 499km invisible
Comment s’est constitué ce tracé ? C’est le 23 décembre 1921, date à laquelle est signé le Government of Ireland Act, qui divisera l'île d’Irlande par une frontière invisible de 499 km.
Puzzle urbain : Murs frontières de Belfast
La fragmentation dans la ville des communautés irlandais et britanniques s’explique par les Peace Walls. Derrière l’oxymore des peace lines, murs de la paix, s’abritent une rupture entre deux groupes qui pratiquent le même territoire, partagent les mêmes employeurs et bars. La vie qui s’est adaptée autour d’eux prouve combien la politique des murs a étiolé le cadre de vie et a affecté les moindres détails de la vie quotidienne, sociale et culturelle. Aujourd’hui, en raison de la méfiance entre Irlandais et britanniques, l’Irlande du Nord est gouvernée par l’Exécutif d'Irlande du Nord, une coalition politique entre unionistes et nationalistes. Le ministre irlandais ne peut décider sans l’aval du Ministre britannique depuis à l'accord du vendredi saint.
Ségrégés mais protégés du danger
Le terme peace line fait référence à un mur ou à une barrière, temporaire ou permanente, qui sépare les quartiers habités par les nord-irlandais et britanniques depuis 1969. La ville de Belfast compte 99 murs érigés entre zones d’habitations et interfaces non bâties. Les "Peacewalls" participent de fait à l'expression d'une identité, de valeurs et d'un message tout en étant un élément constitutif de l'organisation du territoire et des communautés. Encore aujourd’hui les murs sont des cicatrices vulnérables qui peuvent à tout moment sauter. Ces murs sont faits de briques, de tôle métalliques de couleurs termes. Des barbelés complètent leur sommet. Au total, certains "Peacewalls" s’élèvent jusqu’à 7,50 mètres soit 2 niveaux. Leur implantation est brutale sur le sol et s’ajoutent aux clôtures résidentielles privées. Quels impacts cette déchirure douloureuse du passé a t- elle produit dans les quartiers de Belfast ? La relation à l’espace prend aussi le pas sur l’espace mental commun à en lire l’article du Monde. Stuart Tould, un habitant irlandais juge ces murs comme “à la fois une prison et une protection". Intéressant : finalement la misère sociale, soupoudrée de la méfiance à l’égard de l’autre politique “colonisatrice” en face marque la scission psychologique toujours palpable encore d’aujourd’hui.
Bascule démographique ?
300 ans que ça n’était pas arrivé ! La population nord-irlandaise s’apprête à devenir majoritairement catholique d’après la campagne de recensement démographique de 2019. Houray pensez-vous ? La décision de réunifier les deux Irlandes appartiendra à chacun lors du référendum proposé au nord-irlandais, rien n’est sûr d’avance.
John Finucane, député du Sinn Fein (le parti pour la réunification) exprimera que "les partisans du rattachement au Royaume-Uni voient aujourd'hui les dommages que le Brexit a entraîné. Et je pense que beaucoup d'entre eux commencent à réfléchir à ce à quoi pourrait ressembler une nouvelle Irlande. Les résultats du recensement vont sans doute permettre de faire avancer le débat."
Vers un partage spatial apaisé
Un certain nombre de terres dévastées, immédiatement adjacentes à une barrière d'interface seront abandonnés suite à des émeutes ou à cause du sentiment de peur intrinsèque aux communautés. Le tableau précédent recense 58 cas de vacance foncière dont 20 zones où il y a 1 ou plusieurs propriétés abandonnées, 32 emplacements où des terres restent inutilisées et 6 sites qui sont actuellement utilisés comme parkings. On pourrait espérer que l’avenir de ces fonciers connaissent des programmations paysagères au bénéfice de la régénération des cités ouvrières et de leur renaturation.
La rénovation d’ampleur du site portuaire Titanic Quarter illustre la volonté des politiciens de dépasser le conflit et leur ambition de faire rayonner Belfast à l’international. Il est intéressant de remarquer que les formes urbaines proposées sont ultra denses et ne valorisent pas la singularité des formes à toits à pente préexistantes dans les suburbs, ou encore la matérialité locale. De même que la part d’espace consacré aux parcs et à la végétalisation des dessertes internes au Titanic Quarter reste anecdotique (CHIFFRES à venir).
Désir de paix - Post Brexit : l’unification viendra-t-elle prochainement ?
Selon un sondage de LucidTalk pour le Sunday Times, 50,7 % des 1,8 million de Nord-Irlandais seraient favorables à un référendum sur la réunification de l’Irlande d’ici à cinq ans. Seulement ? Plus surprenant encore, l’idée de « perdre » cette province britannique laisserait 37% des Anglais indifférents. Ce vote, prévu dans les accords de paix de 1998, pourrait être réclamé par le secrétaire d’État s’il juge que le « oui » peut l’emporter. Le conflit entre les unionistes et les nationalistes, cible des enjeux politiques, urbanistiques et économiques, il questionne le devenir de l’identité de ses habitants et la nature des coopérations avec les UK, la République d'Irlande. Comment avanceront ces sujets après les premiers constats des accords du Brexit ?
Conclusion
Jusqu'à aujourd'hui, l’urbanisation de Belfast résiste remarquablement bien au conflit nord-irlandais depuis les accords de Paix de 1998 et aux mécontentements au niveau local. Outre ce calme apparent et la relance des investissements immobiliers, on ressent toutefois dans l’espace public la charge mentale, la fatigue collective menée par le conflit intercommunautaire. Au delà des tags declanchant l'empathie du touriste, ces “bastions frontières” fragmentent les espaces de vie des irlandais, atténuent fortement le feu de braises mal éteint, qui pourrait à tout moment repartir en des violences civiles, d’actes de vandalisme et des séries d’assassinats. Grâce à des solutions urbaines et paysagères apaisantes, sans tomber dans un urbanisme qui “muséifie” le récit classique colonisateur/victime, j’espère que l’avenir urbain de Belfast connaîtra des dispositifs urbains forts en accompagnement du débat politique éreintant pour ses habitants.
L'espoir est devant nous.
Sources
Arte, les frontières de la discorde, 2021,
Epinoux Estelle, « Les murs de la paix en Irlande du nord », Guerres mondiales et conflits contemporains, 2001/1 (n° 201), p. 23-33. DOI : 10.3917/gmcc.201.0023. lien
Malcolm Anderson, « Les frontières : un débat contemporain », Cultures & Conflits [En ligne], 26-27 | automne 1997, mis en ligne le 15 mars 2006, consulté le 08 décembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/conflits/359
Alexandre Pouchard, « Quinze ans après l'accord de paix, Belfast reste emmurée», 2013,
Reportage Libération, « Irlande du Nord : la frontière en mer qui rend les unionistes amers», lien , avril 2021,
Marcuse P., Walls of Fear and Walls of Support, Princeton Architectural Press, 1997.
O’Dowd L., Mc Call C., “Escaping the Cage of Ethno-National Conflict in Northern Ireland ? Importance of Transnational Networks”, Ethnopolitics, vol. 7, n° 1, 2008, p. 85.
Ballif F., 2009, « Les peacelines de Belfast, entre maintien de l’ordre et gestion urbaine », in Cultures & Conflits, n°73, 73-83.