Terra Incognita -Refuges alpins : Confluences des sentiers de grande randonnée ?
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Les montagnes, majestueuses et anciennes, témoignent de la puissance et de la beauté de la nature. Leur formation, résultat de millions d'années de mouvements tectoniques, crée des écosystèmes uniques et des défis uniques. Les montagnes intriguent à la fois par leur géographie et par la vie qui prospère dans leurs plus hautes altitudes. A l'intersection entre nos sens, la pratique exigeante de la randonnée, et l'aménagement des territoires alpins, nous plongeons dans l’évolution fascinante des refuges, ces archétypes des paysages alpins, symboles de sociabilité, de solitude, et de résilience des territoires malgré les communautés qui y passent.
Comment concilier l’attachement des individus à ces sites exceptionnels de plus en plus vulnérables et les demandes contemporaines croissantes de durabilité, d’optimisation et d'accessibilité ?
Brève historique : Des débuts du Club Alpin à aujourd’hui
Au fil des siècles, cet héritage alpin témoigne d'une constante adaptation, tenant compte d'une audience diversifiée dont la prise en considération devient cruciale pour assurer la pérennité du modèle économique des vallées alpines. En effet, au-delà des fondements historiques, la dynamique macroéconomique de ces havres s'inscrit dans un perpétuel changement, une écoute attentive des variables à la fois humaines, géographiques et techniques. Ainsi, la trajectoire des refuges se dessine au croisement de l'histoire, de la gouvernance et des dynamiques sociétales en constante évolution.
On appelle refuge, tout lieux d'accueil dont l'accès n'est pas possible par la route. A différencier avec un chalet, lui, accessible par la route ou par un chemin forestier. Certains bâtiments, chalets en été, se retrouvent refuges en hiver, coupés de la route par la neige. L’histoire des refuges est liée à celle de l’alpinisme, de la naissance du club alpin et de la conquête progressive des sommets. Quant au premier vrai refuge date de 1853. C’est celui des Grands Mulets, sur un îlot rocheux, à plus de 3 000 mètres d’altitude.
Tout commence en 1874, lorsque le Club Alpin Français amorce une révolution en inscrivant dans ses statuts la construction et l'amélioration des refuges, l'invention de l'alpinisme, la montagne et l'affirmation de la bourgeoisie cultivée (1786-1914). Cette décision marque le début d'une histoire où passion et préservation se mêlent. Les clubs alpins, émergés en Europe entre 1857 et 1874, jettent les bases d'une culture alpine actuelle, mêlant contemplation et conquête de ces territoires qui “se méritent”. Sous le nom désormais de Fédération Française des Clubs Alpins de Montagne (FFCAM), elle recherche à favoriser la pratique d’activités liées à la montagne et de les rendre accessibles au plus grand nombre. Par la présence de gardiens dès le début du XXe siècle, chaque refuge assure des conditions similaires : accueillir, nourrir, renseigner et remobiliser les grimpeurs avant les premières lueurs du jour.
Pour Henry Russell, « il n'y a rien de plus laid, de plus hideux et de plus repoussant qu'une maison, au milieu des chaos éternels et sublimes des montagnes »
Singularité des refuges en fonction des complexités des territoires
La singularité des refuges émerge de manière intrinsèque en fonction des complexités propres à chaque territoire. L’occupation de la haute montagne européenne est initialement due à la présence de berger dans les estives et alpages façonnées par le système agro-sylvo-pastoral. Cette colonisation anthropique de ces milieux d’altitude s’opère par la construction des cabanes de bergers. En effet, la diversité des fonctionnalités sur mesure déployées dans ces havres témoigne d'une adaptation fine aux spécificités locales. L’offre et le confort proposés par les refuges évolue beaucoup en parallèle de la démocratisation et de l'accessibilité de la haute montagne. Ces refuges ne se limitent pas à fournir un simple abri, ils se positionnent comme des espaces permettant de se repérer et de se reposer au sein d'une topographie singulière et isolée. Maintenir un refuge c’est savoir répondre aux besoins variés des individus, tout en considérant le périmètre de gouvernance des comités territoriaux de la FFCAM. Ainsi, la conception et la gestion des refuges s'inscrivent dans une dynamique pluri acteurs, où l'harmonisation des services avec les réalités géographiques constitue un jeu d’équilibriste. Aujourd'hui FFCAM mène un travail de fourmi pour intégrer les enjeux contemporains au travers de la maintenance des refuges, en effet des “besoins différents émergent selon l’emplacement et des possibilités différentes aussi en fonction de la topologie du territoire” (FFCAM).
Échappatoires de moyennes et hautes montagnes
Les refuges, nichés au cœur des moyennes et hautes montagnes, transcendent l'ordinaire en tant que havres d'authenticité. Leur inaccessibilité par la route ne fait qu'accentuer la singularité de ces lieux, où l'âme et la chaleur des équipes qui les animent se font sentir dès le premier pas. Cependant, ce qui distingue véritablement ces lieux, c'est le rôle du gardien.
Le gardien, bien plus qu'un simple protecteur des portes, se métamorphose en maître d'orchestre de l'expérience des itinérants. Il n'est pas seulement le gardien des lieux, mais aussi le régulateur de la capacité d'accueil des infrastructures, tissant une connexion intime avec le terrain et ses fournisseurs locaux. Cette transition, documentée dans Gardiens de refuges, une perspective historique), révèle un changement fondamental : d'un gardien des lieux à un guide professionnel, conseiller, et gardien de la mémoire du massif.
À côté de cette évolution, la diversité des publics qui convergent vers ces échappatoires est tout aussi frappante. Des célibataires et divorcés en quête de solitude revigorante aux classes aisées recherchant une communion catharsique avec la nature, en passant par les néophytes avides de découvrir les mystères des sommets, ces refuges accueillent une mosaïque de visiteurs. Dans l’ouvrage d’Olivier Hoibian, « Les usagers des refuges : Terre inconnue de la fréquentation des montagnes ? Etude sur les refuges des Pyrénées centrales en haute saison touristique », (Revue Géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, 2020), il y dresse par exemple une typologie des refuges en fonction des différentes clientèles dans les pratiquants de la montagne. De ces profils variés s’amorcent la mutation des pratiques sportives, influençant même l’architecture de ces refuges alpins, comme en témoignent les Chroniques Architecture - Refuges alpins : de l'abri de fortune au tourisme d'altitude).
En somme, au-delà de l'isolement géographique, les refuges de moyennes et hautes montagnes incarnent un croisement particulier entre l'évolution du gardien et la diversité des publics, formant ainsi des espaces où chaque visiteur trouve une expérience ressourçante, à la juste mesure et normalement inoubliable
Ouvrir les Refuges à Tous
Dans la quête d'une montagne durable et accessible à tous, l'ouverture au plus grand nombre devient un levier essentiel. Décloisonnés à être plus que de simples abris ; ils sont aussi des outils de mesure de la fréquentation face à une demande croissante. En 2014, la FFCAM décide de rendre les refuges accessibles à un public plus large *La Montagne & Alpinisme). Avec la réouverture du refuge du Goûter, à 3 835 mètres, celui-ci se profile comme le prototype de l'habitat de demain qui développe des solutions ingénieuses pour réemployer les énergies humaines. Par exemple, le surplus de chaleur des itinérants est en partie utilisé pour faire fondre la neige grâce à un système de circulation d'eau. Il est complété par 50 m2 de capteurs solaires thermiques situés dans la pente sous le refuge, dont l'énergie peut être stockée sous forme d'eau chaude glycolée dans un ballon tampon de 2 000 litres pour la production d'eau chaude sanitaire. Poser la question cruciale de la gestion des déchets au sein de ces refuges offre une perspective également intéressante. Comment transformer le refuge en lieu-pilote d'éco-responsabilité ? Longtemps très répandu, le système d’assainissement de la fosse toutes eaux (appelée aussi fosse septique) se voit remplacer par des systèmes plus écologiques comme la pédo-épuration ou le filtre planté. Certains refuges vont plus loin en s’équipant de “lombrifiltre” ou “lombricompostage”. Dans le refuge du Goûter, l'assainissement des eaux usées, dont la production est pensée pour être limitée, se fait par filtration et stérilisation avant qu'elles soient rejetées dans l'environnement.
Une seconde piste de réponse à cette question est la sensibilisation au changement climatique, à la fois pour les adultes et les enfants, faisant des refuges des lieux d'apprentissage et d'action. Ainsi, au-delà de leur fonction première, les refuges deviennent des agents de changement, catalyseurs d'une montagne durable et éducatrice. Côté valeurs, la FFCAM est régie par des statuts qui prennent en compte la préservation du milieu montagnard et les problématiques liées au développement durable (Objet 4 et 5 des statuts de la FFCAM) ce qui amène à ce qu’elle soit exemplaire sur ces sujets. En effet, les salles communes de ces derniers sont équipées en poster pédagogique sur les bonnes démarches à adopter en montagne aussi bien sur le plan écologique que sportif et culturel. « On donne des indicateurs. Par exemple, chaque jour, on utilise environ 150 litres d’eau ; en refuge avec une toilette de chat ça passe à 20. On va aussi expliquer qu’il n’y a pas de raccordement comme en vallée. C’est un gros travail, mais globalement il y a une bonne compréhension » se félicite Maria-Isabel Le Meur (Directrice Adjointe, FFCAM). De quoi obliger gardiens et gestionnaires à de véritables numéros d'équilibristes entre actions de sensibilisation au contact d’un public en transition.
Stratégies responsables face à la raréfaction des ressources et à des modes de consommation restreints
Face à l'impérieuse nécessité de répondre aux enjeux cruciaux de la raréfaction des ressources hydriques et de la consommation restreinte, les stratégies responsables se dessinent comme des phares dans la tempête. La fonte accélérée des glaciers et le déficit de neige se traduisent par une diminution drastique des précieuses réserves d'eau, mettant en péril l'équilibre délicat des cours d'eau. Chaque goutte qui se perd dans cette fonte glaciaire représente une ressource en moins pour nourrir les rivières et maintenir l'écosystème aquatique.
Parallèlement, les sécheresses persistantes exercent une pression implacable sur les nappes phréatiques, les privant de l'apport vital nécessaire à leur recharge. Cette privation continue aggrave la menace pesant sur les ressources en eau, créant un cercle vicieux qui nécessite des réponses proactives et durables *Refuges, l'écologie au sommet, La Montagne & Alpiniste n°2-2017). Ainsi, dans ce contexte alarmant, l'exploration de stratégies responsables devient impérative pour préserver notre accès à une ressource aussi cruciale que l'eau.
En revisitant la mutation des typologies alpines, la concertation entre acteurs publics, privés et associatifs pour la gestion saisonnière et la rénovation contemporaine des refuges, nous pouvons nous réjouir d’un questionnement concerté, pro actif et constant pour que les refuges puissent évoluer en phase avec leur époque. Les refuges ne sont plus simplement des abris, mais des témoins d’un entrelacement entre nos pratiques sportives et notre relation avec les ressources naturelles alpines. En mariant mémoire, intelligence collective et amélioration continue, les refuges alpins continuent d'être des points de rencontre, de découverte de soi, et de préservation des merveilles naturelles.
Sources
L'invention de l'alpinisme : La montagne et l'affirmation de la bourgeoisie cultivée (1786-1914), source
L’Inventaire général du patrimoine culturel de la Région Auvergne-Rhône-Alpes source
L'adaptation des gardiens de refuges aux changements climatiques et sociétaux : Regards dans le cadre du programme Refuges Sentinelles, source
Chroniques Architecture - Refuges alpins : De l'abri de fortune au tourisme d'altitude, source
Sécheresse : les refuges de montagne préparent l’avenir source