Rénovation des sols urbanisés : ambitions, contradictions et perspectives
1. Des ambitions affirmées pour une transformation durable
La transformation des sols urbanisés est un enjeu clé du XXIᵉ siècle, à la croisée des dimensions écologiques, sociales, économiques et urbanistiques. En d'autres termes, il s'agit de repenser l'utilisation de la terre en ville pour mieux protéger notre environnement, rendre les espaces de vie plus agréables et répondre aux défis actuels, comme le changement climatique et la perte de biodiversité. Face à ces défis, les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) et les Orientations d’Aménagement et de Programmation (OAP) deviennent des outils essentiels pour une planification plus respectueuse de l'environnement. Ces documents sont en quelque sorte les « cartes » qui guident la manière dont les espaces urbains doivent être aménagés, afin d'assurer un développement plus durable.
Les sols ne sont pas juste des espaces où construire des bâtiments : ils jouent aussi un rôle fondamental pour la nature, comme l’absorption des eaux de pluie, le stockage du carbone, et le maintien de la biodiversité. Cette reconnaissance s’inscrit dans une dynamique européenne ambitieuse : la mission « Santé des sols et alimentation », qui vise à restaurer 75 % des sols d’ici 2030.
Dans cette optique, l’urbanisme évolue vers une approche plus systémique, intégrant la multifonctionnalité des sols. Il ne s’agit plus seulement de gérer l’espace foncier, mais d’exploiter pleinement les propriétés écologiques et économiques des sols pour orienter l’aménagement urbain. Par exemple, l’identification des zones à forte valeur écosystémique permet de hiérarchiser les espaces à préserver, qu’il s’agisse de favoriser l’infiltration des eaux, de réduire les îlots de chaleur ou de maximiser le stockage du carbone.
Cette transformation s’accompagne également d’une refonte des politiques de mobilité. Si la réduction de l’empreinte automobile et le développement des mobilités douces sont affichés comme des priorités, leur mise en œuvre reste contrastée.
Enfin, la gestion des friches et des sols pollués est un levier central du renouvellement urbain. La dépollution des anciens sites industriels et des terrains en déshérence est indispensable, mais demeure une tâche coûteuse et techniquement complexe. Or, sans études de sol rigoureuses et sans mécanismes de financement adaptés, ces espaces restent sous-exploités, freinant la transition vers des villes plus résilientes.
L’enjeu n’est pas uniquement environnemental : il est aussi social et patrimonial. La rénovation urbaine ne peut réussir qu’en conciliant la mémoire des lieux, les attentes des propriétaires et l’intérêt collectif. La qualité du cadre de vie, l’accessibilité aux espaces verts et la capacité des projets à renforcer le « vivre ensemble » doivent devenir des priorités concrètes et non des principes abstraits.
2. Des contradictions et limites dans la mise en œuvre
Si les ambitions sont claires, leur application révèle de nombreux paradoxes.
Un cadre réglementaire trop souple ? Les OAP, censées guider les politiques locales, offrent une flexibilité qui peut nuire à la cohérence des décisions. Par exemple, sans directives claires, certaines villes n'arrivent pas à se moderniser de manière efficace.
Une mobilité durable encore trop théorique : malgré les discours en faveur des mobilités douces, en 2025, la voiture reste omniprésente, freinée par un urbanisme historiquement tourné vers l’automobile et les infrastructures actuelles ne sont pas adaptées aux nouvelles pratiques.
Des obstacles budgétaires et techniques : la transition énergétique et la rénovation écologique des bâtiments souffrent d’un manque de moyens et d’un cadre administratif contraignant. Par exemple, la dépollution des sols, nécessaire pour réutiliser des terrains industriels abandonnés, représente une dépense élevée qui empêche de nombreux projets de se concrétiser.
En outre, la question du respect du patrimoine - sans le démolir - se pose. Comment concilier la préservation de l’histoire d’un lieu tout en y apportant des innovations modernes ? Trouver cet équilibre entre conservation et modernisation reste une tâche délicate, souvent source de tensions.
3. Vers une approche plus participative
Face à ces limites, une transformation réellement efficace nécessite une approche plus flexible, inclusive et expérimentale. Cela signifie que tous les acteurs, pas seulement les experts et les élus, doivent être impliqués dans la transformation de la ville.
Favoriser la co-construction des projets : la rénovation des sols urbains ne peut être pensée uniquement par les techniciens et les élus. Associer les citoyens, les chercheurs et les acteurs économiques permet d’adapter les stratégies aux besoins concrets du terrain.
Accélérer la renaturation urbaine : la végétalisation des bâtiments, la réhabilitation des sols et la création d’espaces verts doivent cesser d’être perçues comme des ajouts secondaires et devenir des piliers des politiques urbaines.
Soutenir la recherche-action : des initiatives locales ont déjà démontré l’efficacité de démarches participatives innovantes.
1. Les Ateliers Populaires d'Urbanisme à Grenoble (2015-2023)
À Grenoble, les APU ont été créés pour aller au-delà d’une simple contestation des projets de rénovation. Ils ont permis aux habitants et aux associations de s’impliquer dans la transformation de leur quartier en testant des méthodes alternatives inspirées de l’advocacy planning. Cette approche, proche du community organizing, a renouvelé les débats sur la politique de la ville en France.
2. Projet « La ville côté femmes » à Gennevilliers
Gennevilliers, une recherche-action intitulée « La ville côté femmes » a été menée pour comprendre les mécanismes d’appropriation de l’espace public par les femmes. Cette recherche-action a exploré la manière dont les femmes s’approprient l’espace public et les obstacles qu’elles y rencontrent. En intégrant une perspective de genre, ce projet a mis en évidence des biais structurels dans l’aménagement urbain et a permis de proposer des aménagements plus inclusifs.
Synthèse de la démarche de constitution d’une cartographie sensible, Corinne Luxembourg et Dalila Messaoudi
3. La Cartonnerie à Saint-Étienne
Depuis 2010, l'association "Carton Plein", regroupant architectes, urbanistes et sociologues, gère et anime un espace public temporaire et expérimental de 2 000 m² au cœur de Saint-Étienne, nommé La Cartonnerie. Cette initiative permet aux habitants de s'approprier un espace en friche, de participer à sa transformation et de tester de nouvelles formes d'urbanisme temporaire et participatif. Ces exemples illustrent comment la recherche-action peut favoriser une participation active des citoyens dans la transformation de leur cadre de vie, en promouvant des approches collaboratives et inclusives en urbanisme.
En conclusion
La transformation des sols urbanisés est un défi complexe, marqué par des ambitions fortes, mais aussi par de nombreuses contradictions. Entre planification rigide et expérimentation locale, l’avenir réside sans doute dans un équilibre à trouver : moins de normes figées, plus d’innovation sur le terrain.
Les initiatives de recherche-action démontrent qu’une ville plus écologique, plus résiliente et plus inclusive est possible, à condition d’impliquer davantage ses habitants et d’accepter de repenser les méthodes traditionnelles d’aménagement.