Réalité transfrontalière - la vallée du Rhin déploie son “europtimisme”

L’Europe incarne les valeurs d’un monde sans frontières, intégrateur et inclusif. Située au cœur de l’Europe occidentale, la région Grand Est pique notre curiosité, avec près 60% de frontière. Le terme “transfrontalier” désigne les synergies entre territoires situées en périphérie d’une frontière d’état. Pourtant éloignée des lieux de pouvoirs, les enjeux géopolitiques restent prégnants dans ce type d’espace géographique. Grâce aux successifs programmes de coopérations transfrontalières, le Grand-Est connait un dynamisme territorial très stable et très spécifique qui profite tant aux milieux naturels qu’à l’économie des territoires ruraux et métropolitains concernés. Comme le souligne le traité d'Aix-la-Chapelle, la connaissance des collectivités locales" du quotidien de ces territoires frontaliers complexes et très étendus conditionne le succès de ces coopérations renouvelées “tacitement”. Ainsi, en 32 ans de coopération, l’Europe a réduit les obstacles des bassins de vie frontaliers et incarne l’esprit européen. Dans cet article, nous explorerons le phénomène territorial de la métropolisation transfrontalière de Karlsruhe à Bâle qui s’entend de part et d’autre du Rhin.

Comprendre la frontière naturelle qu’est le Rhin est primordial pour identifier comment améliorer l’expérience des frontaliers et planifier durablement l’aménagement des fonciers frontaliers. Découvrons ensemble ses caractéristiques - atouts et inconvénients - de la vallée franco-allemande du Rhin.

Sommaire

  1. Vies frontalières et expériences du réel

  2. Une interface transfrontalière de forte connexité

  3. Aux prémices de la rhétorique transfrontalière

  4. Concilier l’industrialisation et la gestion durable des milieux naturels rhénans

La signature de la convention cadre de Madrid en mai 1980 fut le déclencheur de la coopération entre états qui se partageaient une même frontière, qu’elle soit une montagne, un fleuve ou une ligne invisible. Des groupes transfrontaliers politiques et économiques se constitueront dès lors pour encourager les coopérations, en particulier dans les régions dynamiques. Egalement, l’Accord intergouvernemental de Bonn le 22 octobre 1975 représente un événement charnière dans la coopération transfrontalière du Rhin supérieur. Comment expliquer l’impact sur le quotidien des frontaliers ?

Vies frontalières et expériences du réel

Traverser la frontière ou l’habiter ?

Être frontalier français, c'est explorer un vaste “territoire d'habitudes” avec optimisme et un attachement pour son voisinage allemand, similaire, mais différent. C'est aussi, incarner l'autre mindset, plus conservateur, moins enclin à partager ses ressources et d'humanité. Si être frontalier pouvait être une nationalité, elle se caractériserait part une ambivalence où deux visions cohabitent et entrent en friction aux moments de débats démocratiques (l’identité du territoire frontalier). Personnellement, il m'est arrivé de rencontrer autant d'européens convaincus, (hyper nomades/quadrilingues) que d'habitants nés dans le territoire (sédentaires/issus de la troisième génération d'Alsaciens/experts de la géographie de leur territoire).

Des modes de production et de consommation responsables

Dans un contexte de forte pression foncière, l’agriculture biologique a vu sa surface agricole utile (SAU) passer de 53 ha à 289 ha entre 2010 et 2019 et le nombre d’exploitations doubler. La SAU dédiée à l’agriculture biologique reste cependant inférieure à la moyenne alsacienne (2,3% de la surface totale contre 8,6%) sans doute du fait du caractère urbain du territoire. De plus, depuis 2015, la Surface agricole Utile de l’EMS a baissé de 1,2%. Les bonnes pratiques se développent avec notamment des circuits courts d’alimentation sont très actifs et formés par une soixantaine de producteurs locaux, qui alimentent la cinquantaine de marchés hebdomadaires ainsi que le réseau de sites de distribution des paniers fermiers. L’éco-pâturage a été introduit pour mieux respecter les milieux ouverts. Depuis 2011, un troupeau de vaches Highland Cattle se pait en lisière de la forêt de la Robertsau et depuis peu sur l’ile du Rohrschollen, avec un troupeau de moutons.

En 2016, le nouveau Plan local d’urbanisme a reclassé 850 ha constructibles en zones agricoles (zone A) ou en zone naturelle et forestière (zone N) inconstructibles et donné ainsi une visibilité à long terme aux agriculteurs exploitant ces parcelles.

 
Analyse d’impact à 360° de l’agriculture péri-urbaine tirée du rapport de l'Eurométropole de Strasbourg. Il porte l'ambition de minimiser la consommation de foncier, de rendre pérenne la fonction agricole en tenant compte de la dimension agricole dans l’élaboration des documents d’urbanisme et des projets urbains.
Analyse d’impact à 360° de l’agriculture péri-urbaine
 

Une interface transfrontalière de forte connexité

Rhin Supérieur (RS) est un programme INTERREG A créé pour soutenir la coopération à l'interface entre l'Allemagne, la France et la Suisse. Du côté français et allemand, il impacte les territoires adjacents aux frontières et les territoires que celui-ci englobe.

https://www.conference-rhin-sup.org/fr/la-conference-du-rhin-superieur/cooperation-transfrontaliere.html

Le RS est délimité par des entités paysagères lisibles par les Vosges et le Pfälzerwald à l'ouest, la Forêt-Noire à l'est et le Jura au sud. De cette situation particulière en résulte, d’une part, des interdépendances au niveau des espaces naturels (climat, eau, air, types de paysages, écosystèmes) et, d’autre part, une forte interconnectivité, qui ne va pas de soi pour les zones frontalières, tant pour les services publics et la vie quotidienne des citoyens que les activités des acteurs économiques. Cette situation entraîne quelquefois des défis particuliers pour la coopération transfrontalière, notamment en ce qui concerne le réseau d'infrastructures qui lie bourgs, villes moyennes et métropoles économiques.

Le RS dispose de liaisons de transport plus fonctionnelles que la moyenne européenne, connectant principalement les grands centres au sein et en dehors de la région. Des pistes d’amélioration et de nouvelles problématiques en matière de mobilité sont à constater. Il apparait nécessaire de poursuivre leur développement afin de prendre en compte les mobilités douces, les nouveaux enjeux en matière de logistique de proximité et favoriser un désenclavement de certaines zones moins bien connectées aux grands axes.

L’Union européenne est à l'écoute de ces disparités et d'ailleurs dépasser les frontières projet après projet est le slogan des coopérations institutionnalisées (Conférence du Rhin supérieur, Conseil rhénan ) entre collectivités locales frontalières ( « eurorégions » ou « eurodistricts »).

 

L’Eurodistrict Strasbourg-Ortenau

En 2006, le GECT Strasbourg-Ortenau apparu en raison de la proximité entre Strasbourg et Kehl (ALL). Strasbourg-Ortenau (GECT) est un projet soutenu par les gouvernements français et allemand pour pousser les murs de la coopération transfrontalière en dotant l’agglomération Strasbourg-Kehl d’un statut européen. Les groupes de travail mis en place ont permis de d'affirmer un périmètre commun, un groupement local comme organe de décision propre et un certain nombre de projets comme la mise en place des réseaux de transports transfrontaliers et internationaux.

Aujourd'hui, il regroupe 112 communes - dont les 61 communes françaises de l'Eurométropole de Strasbourg et de la Communauté de communes du Canton d'Erstein et les 51 communes allemandes de l'Ortenaukreis, où vivent quelque 958,421 habitants répartis sur une superficie de 2,468 km².

L’Ortenau (GECT) combine 40% de la recherche mondiale pharmaceutique et un archipel économique hétérogène d’entreprises de tailles moyennes (« Mittelstand »),de bonnes connexions logistiques par sa présence sur le 1er corridor européen reliant le territoire aux grands ports de la Méditerranée et la mer du Nord, les liaisons est-ouest sont assurées et permettent de constituer la porte d’entrée vers la France.

Port du Rhin © RENODE
Rive allemande du Jardin des Deux Rives © RENODE
Quartier résidentiel de Kehl © RENODE
Quartier Rive Etoile à Strasbourg © RENODE

 

Aux prémices de la rhétorique transfrontalière

Depuis un siècle, la frontière et Rhin font corps comme en témoigne les représentations de son paysage

De l’action conjointe des institutions gouvernantes (Interreg Rhin Supérieur, Eurodistrict, Métropole de Strasbourg, Ville de Kehl) aux consultations internationales pour le devenir de Strasbourg-Kehl, l'ancien front militaire a laissé place au territoire des deux rives. Depuis cette bascule historique, la coopération de la planification de Strasbourg Kehl n'a jamais cessé d'améliorer le cadre de vie urbain et paysagers. La coopération entre les deux villes atteint son climax par la réalisation de projets urbains emblématiques (Jardin des Deux Rives, Pont de l’Europe, Tramway, etc.) Aujourd’hui, l’Eurodistrict soutient l’aménagement du territoire de part et d’autre du Rhin et se pose en médiateur et plateforme commune permettant un échange transfrontalier d’informations auprès du grand public.

 
Plan de Strasbourg en 1644 selon Matthäus Merian
 

Une frontière aux multiples limites

La géographie de la frontière à Strasbourg n'a cessé d'évoluer. Le Rhin autrefois sauvage et nourricier fut canalisé dès le XIXe siècle. En l'observant lui seul, on comprend les relations diplomatiques entre les États-nations et l'apparition du “discours européen”. Corridor endigué de 300 m de large, les travaux au XIXe siècle amorceront une ère de conquêtes territoriales et de réduction du risque d’inondation. Des espaces de nature sauvage survivront à son endiguement et au développement du port. Depuis quelques années, les forêts rhénanes situées au cœur de l’agglomération et classées réserves naturelles apparaissent comme un patrimoine écologique et culturel qui arrime Strasbourg à son histoire rhénane. Comme en témoigne la forêt rhénane aux portes des quartiers du Neuhof au sud et de la Robertsau au nord, l’espace naturel du Rhin s’ouvre à son territoire.

1814

L’ouverture de la ville sur le Rhin commence avec la fixation d’un point de passage pérenne rendu possible par l’endiguement et la régulation du Rhin en 1852. Après le traité de Francfort, qui rattache l’Alsace et la Moselle à l’Empire germanique en 1871, le Rhin ne constitue plus une frontière.

1892

Les espaces portuaires se prolongent vers l’ouest sur plus de 3 km le long des canaux et des bassins et de la route du Rhin, jusqu’aux portes de la ville historique. À partir des années 1970, le port s’est prolongé au nord et au sud pour se déployer aujourd’hui sur plus de 11 km le long du Rhin.

 

Maîtrise d'ouvrage intercommunale transfrontalière

Dès 1950, la domestication du Rhin libère de grands espaces pour des équipements industriels et de transport. On peut citer notamment les nombreuses centrales hydroélectriques implantées le long du Rhin.

Ottmarsheim, photographies aériennes de 1951 et 2012

Le 1er janvier 2017, la loi NOTRe confère la compétence à toutes les communautés et métropoles pour la création, le développement, la maintenance et la gestion des zones d'activité économique sur leur territoire. Du consensus politique de sobriété foncière, la planification d'une reconfiguration durable des sites d'activités économiques deviendra un objectif majeur des intercommunalités (SCOT, PLUi).

Cette récente attribution de compétence s'annonce pérenne, d'autant plus que d'importants besoins de requalification de la vallée du Rhin industrialisée se manifesteront au cours des dix prochaines années.

Comment remobiliser la vitalité des bourgs aux abords de ces sites démantelés et impacté par l'exode de l’ancienne main-d'œuvre ?

Du démentelement au quartier d’activités économiques

Peu médiatisée, en avril 2021, la société anonyme d’économie mixte locale Novarhena pour la reconversion du territoire autour de Fessenheim (68) a été créé. De droit français, son capital initial d’un million d’euros se répartit entre onze actionnaires français et allemands : les collectivités locales région Grand Est, Collectivité européenne d’Alsace (qui la préside), communauté d’agglomération de Mulhouse M2A et, côté allemand, Ville de Fribourg-en-Brisgau et Landkreis (arrondissement) de Brisgau, la Caisse des Dépôts, trois banques tricolores et les chambres de commerce et d’industrie des deux rives du Rhin. Selon ses statuts, elle est chargée de mettre en œuvre le projet de territoire signé il y a deux ans avec l’Etat en prévision du débranchement de la centrale nucléaire intervenu l’an dernier. Elle a notamment vocation à aménager la Zac EcoRhéna, dans le port de Colmar-Neuf-Brisach.

Une étude d'impact en cours précise que le projet comportera 7 secteurs destinés à accueillir des activités tertiaires, industrielles en continuité avec la zone d’activité Koechlin. Il nécessitera le défrichement de 7,16 Ha de zones naturelles (Boisement Koechlin, forêt de Balgau, boisement sur le ban Geiswasser).

 

Concilier l’industrialisation et la gestion durable des milieux naturels rhénans

La plus grande concentration de réserves biologiques en France

RENODE Rhin

Forêt rhénane, bras du « vieux Rhin », îles, zones humides ou de confluences, constituent des espaces à vocation naturelle le long de l’infrastructure rhénane. Les abords du Rhin offrent ainsi un vrai paradoxe, conjuguant une stratégie de développement d’infrastructures et d’industries lourdes avec une politique de protection d’espaces naturels et de renaturalisation du cours du vieux Rhin. Le résultat est un patchwork paysager offrant des contrastes paysagers surprenants.

Le relief remarquable du massif vosgien place la quasi-totalité du territoire alsacien dans le bassin hydrographique du Rhin. En surface, côté France, le massif des Vosges est une zone de montagne qui s’étend sur 250 km, de Ferrette et Belfort jusqu’à Wissembourg et Bitche. Il couvre 580 communes et s’entend sur 7 départements et deux régions, Bourgogne-Franche-Comté et Grand Est. Il est donc un enjeu majeur de préserver ce paysage tout en l’adaptant aux nouvelles attentes d’aménagement des bassins de vie et économiques. Au sous-sol, la nappe phréatique rhénane est l’une des plus importantes réserves en eau souterraine d’Europe. Elle s’étend, en Alsace, sur 3200 km² dont 400 pour le pliocène de Haguenau. La quantité d’eau stockée, pour cette seule partie alsacienne, est considérable et estimée à environ 35 milliards de m³.

Situé dans un carrefour biogéographique entre les domaines atlantique, méditerranéen et continental, la vallée du Rhin offre un écosystème unique représentant 47 500 ha. Les écosystèmes sont interconnectés entre eux ainsi qu'avec d'autres écosystèmes situés en dehors des zones de coopérations, subissant ainsi les mêmes conséquences liées au changement climatique et aux évolutions de la biodiversité. Le plan intégré du Rhin (PIR) combine par exemple des mesures de protection contre les crues sur le RS avec la renaturalisation des paysages.

 

Conclusion

Rhin Supérieur, une harmonisation à trouver, une remise en question pour adapter son tissu économique à l’économie du XXIe siècle

Les bassins de vie transfrontaliers sont aujourd’hui documentés et déclarés communs à l’unanimité. Mais manquent, à l’image de l’IBA Basel et Metrobasel, des voix visionnaires pour le développement transfrontalier du RS. L’Eurodistrict a besoin de lieux de planification beaucoup plus exploratoires sachant initier des bassins économiques attractifs au delà de l'Europe, la cohésion des quartiers ruraux frontaliers et une gestion réciproque des thématiques franco-allemandes. C’est sans doute à ce niveau que se joue la prochaine évolution de cette frontière.

Pour aller plus loin :

  • L’Eurodistrict trinational de Bâle ETB

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