Jeunesse rurale - Défis et opportunités dans un monde en mutation

La jeunesse est une période cruciale pour la formation de l’individu, tant sur le plan personnel que sur celui de l’éducation. Cependant, les études portant sur la jeunesse révèlent des disparités importantes dans la prise en charge de ces publics, voire des inégalités dans l’accès aux ressources et aux services publics dans l’environnement quotidien immédiat, perceptibles à travers les pratiques et les comportements des jeunes. Cet article porte sur les pratiques sociales des jeunes vivant en milieu rural ainsi que sur les initiatives locales mises en place pour les soutenir dans leur processus d'émancipation. Il convient de se demander si le regain d'intérêt pour le sens que connaît actuellement notre société aura une incidence sur les aspirations des jeunes, et si l'on assistera à une prédominance des parcours de vie orientés vers les espaces ruraux.

« La question de la jeunesse est révélatrice d’une tendance collective plus large qui correspond schématiquement à regarder en premier lieu dans les métropoles et dans leurs banlieues », décrit Salomé Berlioux, fondatrice de l’association « Chemins d’avenirs » et auteure de « Nos campagnes suspendues ».

La jeunesse rurale, entre-deux générationnel invisibilisé

Plus de la moitié des Français, soit 60 %, résident dans ce que l'on appelle la France périphérique, qui comprend les zones rurales, les villes petites et moyennes ainsi que certaines zones du périurbain. Parmi les jeunes âgés de 3 à 24 ans, 60 % vivent dans des communes situées entre le périurbain et le rural. Malgré cette croissance, le phénomène reste largement ignoré. On s'interroge sur leur situation, leur bien-être et leur capacité à s'en sortir dans un contexte où les politiques communales et les médias ne leur accordent que peu d'attention.

Réalisé par Julian Terreaux, le documentaire “Grandir et partir” pour France 3, livrait justement le quotidien de cette jeunesse dont on parle peu. Une jeunesse silencieuse, presque invisible, à l’écart des grands centres urbains. Filmé pendant 5 ans, Damien, Mélanie et Gaëtan nous partageaient leurs moments de doutes, leurs espoirs et les différents changements dans leur vie, tant professionnels, physiques que sentimentaux de jeunes ruraux.

Être jeune rural et avoir des loisirs

Des temps libres d'un autre type, mais pas moins heureux que ceux des jeunes urbains

Les pratiques de loisirs des jeunes ruraux sont marquées par un accès sensiblement différent aux établissements sportifs et culturels par rapport aux jeunes urbains. En effet, les inégalités territoriales ont contribué à cela. D'une part, il y a des disparités de financement culturel entre les zones rurales et urbaines. D'autre part, la demande est plus fragmentée dans les zones rurales. Pour exemple, le taux de fréquentation des cinémas à Paris est de 12,6% entrées par habitant et par an, contre 2,6 dans le Puy-de-Dôme ou 3,3 en Meurthe-et-Moselle. C'est pourquoi les jeunes ruraux ont souvent des activités de loisirs plus « traditionnelles », telles que la pratique d’un sport d’extérieur ou la participation à des activités en association.

Ce que j’aime le plus dans l’escalade, c’est ce vide qui se trouve sous nos pieds, cette envie de trouver une solution pour grimper plus haut lorsque qu’il y a une impasse
— Mélanie

Cependant, les associations et collectifs citoyens s'efforcent de promouvoir la culture dans les régions rurales en exploitant les ressources limitées disponibles. Ils mettent en place des projets artistiques en l'absence d'infrastructures appropriées en gérant les installations existantes telles que des salles de spectacle, des cinémas mobiles et des cafés culturels. En outre, ils sont également impliqués dans la préservation du patrimoine local. Malheureusement, ces projets sont fréquemment financés de manière insuffisante par le ministère de la Culture, qui alloue seulement 2% de son budget aux associations. En conséquence, ces associations et collectifs citoyens dépendent fortement du soutien financier des Établissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI).

 
RENODE RECITS JEUNES RURUAX

Ressources et inégalités du capital scolaire

18 ans est l’âge de migrations résidentielles pour les jeunes, davantage pour ceux vivant en milieu rural.

L’accès aux formations d’enseignement supérieur contraint les jeunes ruraux à devoir envisager de déménager une première fois pour rejoindre les hauts lieux d’études, puis une seconde fois pour aller à la rencontre d’un marché de travail à la mesure de leurs compétences intellectuelles de niveau supérieur souvent peu représentées en milieu rural. Ainsi, les collégiens et lycéens du rural parcourent des distances bien plus longues que les autres pour se rendre sur leur lieu d’études, 23 km en moyenne observe l’INSEE. Alors qu’un jeune urbain mettra environ 10 km. Même si, 75 % des jeunes de 18 ans restés vivre en milieu rural sont inscrits dans un établissement d’enseignement. Par rapport à ceux qui ont quitté le rural, ils détiennent nettement moins souvent un baccalauréat général ou technologique (31 % contre 81 %,INSEE) mais plus fréquemment un baccalauréat professionnel (12 % contre 8 %,INSEE). La part des jeunes ruraux en apprentissage est plus élevée que celle des urbains. Ne pas pouvoir bénéficier d’un large capital culturel et scolaire limite largement l’émerveillement d’un jeune et peut être sa capacité à oser un projet personnel et professionnel ambitieux.

J’ai bien essayé de chercher du boulot sur place avant de venir à Dijon, mais j’ai rien trouvé !
— Damien

Les jeunes vivant en milieu rural rencontrent des obstacles spécifiques pour accéder à l'éducation et pour se doter d'un capital social et culturel. Il convient d'évaluer si les politiques locales sont suffisamment dynamiques pour instaurer un rééquilibrage durable prenant en compte les besoins de cette génération qui est souvent ignorée.

La place de la jeunesse rurale dans les politiques locales

Le poids des différences sociales et des codes que l’on a pas

Pour les jeunes qui ont grandi en milieu rural et qui déménagent dans un milieu urbain, cela peut être difficile de s'adapter à un nouvel environnement avec des codes et des normes culturelles différentes. Les différences peuvent être liées à la manière de parler, aux modes de vie ou à la façon dont les gens se comportent. Cela peut se produire tant à l’extérieur que dans une scène professionnelle. Pour aider les jeunes ruraux à s'adapter à leur nouvel environnement urbain, il est important de leur fournir des ressources et un soutien appropriés. Cela peut inclure des initiatives de transition entre anciens élèves d’un collège intercommunal, des groupes de soutien regroupant parents et adolescents pour épauler les nouveaux arrivants, ou encore des initiatives pour les aider à repérer des services de proximité dans leur nouvel environnement.

Le manque de moyens des institutions locales pour agir

Le manque de ressources financières et humaines des institutions locales en milieu rural est un défi majeur qui entrave leur capacité à fournir des services de qualité à leurs citoyens. En effet, les zones rurales sont souvent confrontées à des problèmes spécifiques tels que l'exode rural, le vieillissement de la population et le manque de diversification économique, ce qui peut rendre plus difficile l'obtention de financements pour les institutions locales.

En conséquence, les services publics dans ces zones peuvent être insuffisants ou de qualité inférieure par rapport aux zones urbaines plus riches. Les institutions locales, telles que les conseils municipaux et les autorités régionales, peuvent avoir des difficultés à offrir des services essentiels tels que des transports publics, des soins de santé, de l'éducation ou des infrastructures de communication.

Pour surmonter ces défis, les gouvernements locaux peuvent chercher à développer des partenariats public-privé, à encourager la participation citoyenne et à explorer des solutions innovantes pour la prestation de services publics. Il est également important de veiller à ce que les ressources et les subventions soient allouées de manière équitable entre les zones rurales et urbaines, afin de garantir que tous les citoyens bénéficient d'un accès égal aux services publics.

Des interventions en faveur des jeunes limitées

En milieu rural, la faiblesse des interventions en faveur des jeunes est un problème particulièrement critique. Les jeunes ruraux peuvent être confrontés à des défis spécifiques tels que l'accès limité à l'éducation, aux formations professionnelles et à l'emploi, ainsi qu'à des services de santé et de bien-être insuffisants. En conséquence, de nombreux jeunes en milieu rural peuvent éprouver des difficultés à réaliser leur plein potentiel et à s'intégrer pleinement dans la société. Cela peut entraîner des taux élevés de pauvreté, de migration, de déscolarisation, de délinquance et d'exclusion sociale.

Pour remédier à cette situation, il est nécessaire de mettre en place des interventions spécifiques pour les jeunes en milieu rural, en veillant à ce qu'ils aient accès à l'éducation, aux formations professionnelles et à des opportunités d'emploi, ainsi qu'à des services de santé et de bien-être adéquats. Les élus locaux peuvent travailler en collaboration avec des partenaires associatifs et du secteur privé pour créer des programmes et des projets adaptés aux besoins des jeunes en milieu rural. Il est également important d'encourager la participation des jeunes au sein des commissions de décisions locales et de les inviter à la table dans les politiques et programmes qui les concernent.

Recomposer les territoires par la vitalité associative et par la solidarité de la jeunesse rurale
La solidarité entre les jeunes joue un rôle crucial dans la promotion de la cohésion sociale d’une société. Au sein de groupes amicaux ou d’associations, ils tissent des liens interpersonnels, facilitant ainsi la compréhension mutuelle et l'apprentissage de la vie. Les associations contribuent à l’attractivité et l’accueil des communes, offrant de nombreuses possibilités d'engagement. En tant que porteurs de projets collectifs, elles consolident la reconnaissance des communes, de dynamiques de groupes autonomes et durables, capables d'être investis positivement pour leur avenir commun.

Le JugendMobil (Suisse) est un centre itinérant pour les jeunes, entièrement équipé, qui est stationné pour une période définie dans un village qui ne dispose pas d’installations spécifiques pour les jeunes et qui offre aux jeunes la possibilité de se réunir, de jouer et de participer à des activités créatives. Créé à Coire, dans le canton des Grisons, en Suisse, il constitue un exemple inspirant pour les autres acteurs de la montagne. Le JugendMobil proposait différents ateliers et expose ainsi pendant quelques semaines un concentré des qualités qui doivent être celles d’un lieu de rencontre pour la jeunesse encadré par des professionnels. En faisant se rencontrer les jeunes, les habitants et les autorités, JugendMobil a l’ambition de susciter des initiatives dans 20 communes et de déboucher ainsi sur la mise en place d’une offre locale de promotion de la jeunesse sur le long terme.

Ainsi, une association, dont les responsables bénévoles et les adhérents sont soudés, peut apporter bien plus de services et de lien social qu’une multitude d’organismes qui n’agiraient pas en bonne coordination, ou au moins en bonne intelligence. On peut se réjouir de l’action des associations dans les changements sociaux liés à la recomposition rurale (Regourd, 2004). Estelle Regourd, dans ses travaux de doctorante, interroge la capacité du monde associatif à produire du territoire et à redéfinir l’espace rural, autour de territoires à construire et à défendre, d’espaces vécus et de décisions politiques. Par ses recherches sur la géographie rurale, elle salue leur double rôle comme révélateur et acteur des mutations socio-spatiales des territoires ruraux, construits dans l’articulation entre l’ancrage territorial et les ressentiments d’appropriations des individus.

 
 

Conclusion

Si la représentation de la campagne semble être un piège pour les jeunes, l'espace rural semble ne pas proposer les mêmes opportunités à tous ses habitants. En effet, cet environnement est considéré comme étouffant pour certains, source de possibilités de développement et d'opportunités pour d'autres. En d'autres termes, trois types de rapports au rural et à la ville coexistent : le rural piège, le rural refuge et le rural cadre de vie (Estelle Regourd). Selon le parcours de chacun, varieront capital cognitif, niveau de formation, capital social, réseaux amicaux et professionnels et revenus financiers. . Bien que ces défis soient réels, il est encourageant de voir que de nombreuses initiatives locales et collectifs citoyens se mobilisent pour offrir des possibilités de développement personnel et professionnel aux jeunes ruraux. Il est également important de souligner que la jeunesse rurale peut apporter une contribution significative quand elle redistribue des honneurs aux territoires dont elle vient. En fin de compte, il est essentiel que les politiques et les associations travaillent de concert pour redynamiser leur population et chérir leurs aspirations pour garantir un développement à la fois spécifique et synchronisé avec la transformation des autres formes de territoires en mutation (métropolitains, ultramarins, industriels). Au risque d’attiser le feu de ressentiments d’exclusions sociales et économiques..


Livres sur ce sujet





Sources

https://journals.openedition.org/tem/2423

https://www.insee.fr/fr/statistiques/6035523

https://www.cairn.info/revue-pour-2009-2-page-97.htm

Emmanuelle Bonerandi, « Une géographie rurale active. Revue des thèses soutenues de 2003 à 2008 dans les universités françaises », Géocarrefour, Vol. 83/4 | 2008, 337-340.

https://www.fonjep.org/modeles-socio-economiques/ressources

https://injep.fr/tableau_bord/tableau-de-bord-de-la-vie-associative/

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